• " J'ai reçu la vie comme une blessure, et j'ai défendu
    au suicide d'en guérir la cicatrice. "


    LAUTREAMONT

     

    Il est quasiment impossible de résumer cet ouvrage, présenté comme une série de poèmes en proses, divisés en six parties. Maldoror, qui tient plus du diable que de l’homme, observe le monde, plonge au cœur des vices, des mystères surnaturels.

    Ecrits par le jeune Isidore Ducasse, ayant emprunté le pseudonyme Lautréamont, Les Chants de Maldoror passèrent inaperçus à leur époque, mais furent redécouverts par les surréalistes. Par certains traits, notamment lors des premiers Chants, je m’aperçois parfois qu’il s’agit d’une composition de jeunesse, où l’auteur, à peine sorti de l’adolescence, exprimer un mal être fantasmagorique sous forme de prose poétique parfois un peu compliquée, et d’adresse au lecteur pour susciter sa curiosité.  L’on discerne aisément les influences littéraires, telle que le Melmoth de Ch. R. Maturin, les compositions de Baudelaire, de Sade, Chateaubriand, Nerval et même Goethe. Il a beaucoup influencé les surréalistes avec son « poulpe au regard de soie », ou sa conception de la beauté «comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie. ».
    La trame se déroule autour du personnage de Maldoror, qui selon les scènes, prend divers apparences, joue différents rôles, passant tantôt pour cruel et sadique, mais encore pour une victime, rejeté des hommes, pervertis par le monde, alors qu’il n’était pas méchant à sa naissance. Les thèmes récurrents restent la critique de Dieu, le vampirisme, la cruauté mêlée de sensualité et de plaisir, la prostitution, le monde marin, et l’océan. Le Créateur apparaît comme un être ignoble et avide de sang, de souffrances, se plaisant à martyriser les êtres humains, ou comme un être déchus, saoul, que les animaux même méprisent et accusent de tous les maux. Le thème animalier est très présent dans la mesure où certains personnages marquant la vie de Mr Ducasse ont été personnifiés, métaphorisés sous cette forme. Il y a également une ode  magnifique au vieil océan, « immense bleu sur le corps de la terre. »
    Un changement dans le style d’écriture s'opère à partir du troisième chant. Les poèmes en prose deviennent plus longs, et se transforment en petites histoires, plus ou moins marquantes, alors que les deux premiers Chants comportaient un grand nombre de réflexions, et de diversions. Les deux derniers Chants sont également particuliers , s'adressent au lecteur :  Lautréamont explique d’une part certaines bizarreries de son roman, d’autre part nous propose « un petit roman de trente pages », apparenté au conte.

    Certes, Les Chants de Maldoror restent très sombres, mais il ne faut pas omettre la dimension poétique omniprésente. Ainsi, la personnalité d’Isidore Ducasse m’a parût quelque peu fascinante, car au de là des sadismes qu’il décrit, c’est une âme torturée mais pleine de profondeur qui s’exprime, et mûrit au fil des pages. La richesse des métaphores, et leur variété demeure incomparables, témoins du génie de l’imagination de l’auteur.

    (Gravure Les chants de Maldoror - Paris : L. Genonceaux, 1890)


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  • L’ouvrage était resté trois ans et demi dans ma bibliothèque, et malheureusement délaissé pour je ne sais quelle raison. Il y a quelques jours, peut-être ais-je senti que j’étais enfin apte à le vivre –car cette lecture n’a été rien de moins qu’une transposition, un mouvement- et non simplement le lire. Le temps s’arrête lorsque l’on plonge dans l’univers rustique de Hurlevent, quelque chose de sombre se pressent jusqu’à ce que la passion éclate au fil des pages, violente et tragique. Trouvé et adopté par le père Ernshaw, Heathcliff est immédiatement rejeté par le fils, Hindley, tandis que la fille, Catherine s’éprend d’une amitié intense et croissante. La nature sauvage et malicieuse de la jeune fille s’accorde et épouse le mystère et l’obscurité du nouveau venu.

    Heathcliff apparaît comme victime de cet amour devenu impossible, changé en souffrance et rancœur, désir de vengeance et de violence extrêmes. Cette passion dévastatrice est restée inassouvie par la faute de Catherine qui, méprisant son amant, a « trahi [son] propre cœur ». Peut-être par fierté, peut-être par colère ou désespoir, Heathcliff avait fuit le domaine à l’instant où il avait appris que sa bien épouserait Edgar Linton pour un engouement superficiel, plutôt que de se « rabaisser » en le choisissant. Pourtant, elle savait déjà quel lien l’unissait à celui qu’elle dédaignai, lien aussi essentiel et inévitable que celui qui nous relie à nous même : leurs âmes jumelles semblaient faîtes pour s’accorder, construire une harmonie ensemble. Catherine l’affirme : « Je suis Heathcliff. » Tout comme l’homme, brisé, déclarera :

       « Je ne peux pas vivre sans ma vie. Je ne peux pas vivre sans mon âme. »

    La jeune femme a conscience de cette union lorsqu’elle avoue à Nelly :

        « Si tout le reste périssait et qu’il demeurât, lui, je continuerais d’être, moi aussi, et si tout le reste demeurait et que lui fut anéanti, l’univers me deviendrait formidablement étranger : je ne semblerais plus en faire partie. »

    Cet éloignement physique, qui avait déjà commencé la nuit où Catherine fut blessée et contrainte de demeurer chez les Linton, prendra toue son ampleur le soir de ces révélations, peu avant son mariage.
    A son retour, trois ans plus tard, Heathcliff cultive un esprit armé de rancoeurs, de vengeances, de frustrations, animé par le goût de la revanche, tourmenté par son amour irréductible. Comme si, puisqu’il n’a pu avoir Catherine, tout le reste devait périr et subsister dans la plus grande misère, reflet de la ruine morale du protagoniste. Je crois que les mêmes remords poursuivront la jeune femme d’une manière différente, consciente d’être telle une meurtrière tant pour son amant qu’elle-même, il lui paraîtra impossible de mourir en paix. Et sa mort ne condamne-t-elle pas le restant des jours de Heathcliff ? Aussi était-il hanté de son vivant, et le fantôme de son amour ne cessera de le poursuive jusqu’à ce qu’il trouve la paix, se préparant à l’union éternelle dans un au delà, puisqu’il leur fut impossible d’accomplir leur destinée sur terre.

    Une œuvre m’avait rarement autant bouleversée, autant marquée, autant fait vibrer. Fille d’un pasteur, Emilie Brontë aurait menée une existence retirée et solitaire, ayant écrit cet ouvrage en 1848, peu avant sa mort. On dit qu’ ellese serait inspirée de son frère, Branwell pour créer le personnage ténébreux et torturé d’Heathcliff, mais il proviendrait également de cette violence, voire d’une forme de virilité intérieure qui ne saurait s’exprimer qu’à travers la plume.  Sa détresse reste constamment perceptible et je suis loin de penser qu’il ait été dépourvu de cœur car il a su aimer par delà la vie même, respecter Catherine, subir ses choix, bien que ces contraintes aient retournées un sentiment autrefois pur et innocent, l’amour, en son contraire, le distordant en un mélange de passion et de haine à l’égard du monde.

    Contrairement à beaucoup d’adaptations de romans, la version cinématographique avec Ralf Fiennes et Juliette Binoche me paraît assez réussie dans l’ensemble. Mais hélas, encore une fois, certaines scènes clefs du roman ont été modifiées (par exemple, la dernière entrevue entre Heathcliff et Catherine, qui a lieu quelques heures avant sa mort, et son accouchement dans le roman, porte la passion a son paroxysme. Je trouve qu’elle manque d’intensité dans le film. De plus, il s’agissait de l’unique scène d’amour décrite explicitement dans le roman, or le film nous en propose plusieurs, certes fort jolies, mais qui de ce fait créent un contraste moindre avec la dernière). Heureusement, d’autres ont été conservées, autant que possible, le texte étant presque cité dans son intégralité (lorsque Catherine confie à Nelly son amour pour Heathcliff, et l’impossibilité de l’épouser, ou encore la phrase devenue culte que prononce Heathcliff à la mort de Catherine)…

    Je n’irais pas plus loin dans mon développement, car j’ai l’impression d’en avoir déjà trop dit ici, même si je pourrais écrire d’avantage, sans me lasser, au sujet de cette oeuvre fabuleuse…

    A écouter, le morceau de Kate Bush, "Wuthering Heights". A voir: "Wuthering Heights" avec J. Binoche et R. Fiennes (1992).


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    Désirant la lire depuis un certain temps, et mue par l’intérêt pour le programme d’Agrégation de Littérature Générale et Comparée, j’ai également découvert Effi Briest de Théodore Fontane (1894).
    Une jeune fille à peine sortie de l’enfance, Effi, est mariée à un homme de l’âge de sa mère, Innstetten, que cette dernière avait aimé autrefois. Forcée de quitter son cocon familial, elle découvre la mondanité, la vie d’adulte et ses contraintes…
    Je n’ai pu éviter de comparer Effi à Mme Bovary. Toutes deux déçues par l’existence, jeunes mariées pleines d’illusions qui se retrouvent rapidement désenchantées, rêvant d’extraordinaire et de romanesque, elles soupirent après l’amour et leur jeunesse perdus. Mais le roman de Flaubert m’a parût plus sentimental : la finesse avec laquelle il distille la psychologie des personnage, dévoile les pensées de la jeune femmes, créant ainsi une certaine complicité avec le lecteur, l’impliquant dans ses actes, cette manière de traiter le sujet diffère en bien des points du style de Fontane. Certes, il est périlleux de juger une œuvre originalement écrite dans une langue étrangère, ici l’allemand, et lue par traduction, mais la trame du récit porte l’empreinte d’un autre genre. La focalisation sur les personnages demeure majoritairement externe. Les moindres faits se trouvent décrits, parfois analysés, sans jamais toutefois chercher à influencer le lecteur, laissant tant une part de mystère que d’intimité au sujet de la jeune fille. Les relations extra-conjuguales ne sont jamais pleinement révélées, les romanes d’Effi restent secrètent tant pour le lecteur que le mari.
    Or, si Emma se suicide, empoisonnant ainsi son destin tragique, Effi, toute aussi fragile, dépérit. Alors qu’elle s’apprêtait à la repentance, l’affaire dévoilée au grand jour lui ôte réputation et statut. Reniée, privée de la garde de sa petite fille, tout avenir s’effondre. Ses parents n’accepteront son retour qu’au bout de plusieurs années, mais les retrouvailles resteront bouleversantes. Bien loin de la petite Effi enfantine, pleine de vie et d’espoir qui avait quitté leur toit, il en revient une éternelle enfant, vieillie et devenue chétive par les épreuves et les souffrances. Ce n’est pas sans émotions qu’elle retrouvera le berceau de son enfance, havre de la paix à jamais perdue, pour y mourir le sourire aux lèvres, encore.
        Effi m’évoque l’archétype de l’innocence, de la liberté, et de la pureté immolées à la société rigide. Cette fraîcheur, cette joie de vivre dont elle fait preuve depuis l’enfance s’éteint peu à peu au contact de sa nouvelle vie. La jeune fille se fane, cherche un moyen de survivre dans l’adultère, puis dans la naissance de sa petite fille, avant d’être cruellement condamnée pour des fautes dont elle ne semble pas mériter la responsabilité. Inadaptée, incomprise, en proie à une solitude totale, elle incarne la victime d’un désastre, l’animal arraché à son milieu et enfermé dans une cage.

    Théodore Fontane reste l’un des principaux représentants du réalisme en littérature, et l’on remarque dans son œuvre l’importance des dialogues, omniprésents, qui restituent l’atmosphère de la société bourgeoise du XIXème siècle.


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    Publié en 1880, Nana a fait une vive impression dans le monde littéraire, mais ce « roman quadrupède » d’après Le Charivari  suscita l’intérêt et l’admiration de Flaubert et Huysmans. Son caractère cru, pourtant sans excès d’impudeur, son réalisme du à de minutieuses enquêtes, propre au naturalisme, dévoile avec symbolisme l’apogée et le déclin du Second Empire (1852 – 1870). En effet, fille de Gervaise et de Coupeau, personnages de l’Assommoir, Nana est née en 1851, morte en 1870 : les dates coïncident, l’action s’inscrit dans l’époque. Nana raconte comment l’héroïne éponyme, fille de rue, actrice, entame une ascension fulgurante et inexorable à travers les classes sociales, entretenue par les hommes qu’elle séduit, dont le chaste comte Muffat. Courtisane accomplie, s’idolâtrant elle-même, grâce au succès théâtral de « La blonde Vénus », elle devient célèbre et recherchée. Mais elle semble détruire avec un plaisir non dénué de sadisme et s’approprier tout ce qui traverse son passage, dominant ainsi Paris et sa bourgeoisie. Dans un article, La Fauchery la surnomme justement « La Mouche d’Or » :   

    « Elle avait poussé sur le faubourg du pavé parisien ; et grande, belle, de chair superbe, ainsi qu’une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple remontait et pourrissait l’aristocratie. […] … une mouche couleur de soleil, envolée de l’ordure […] et qui […] empoisonnait les hommes rien qu’à se poser sur eux, dans les palais où elle entrait par les fenêtres. »


    Ainsi entretenue, devenant de plus en plus populaires, elle ruine les fortunes de la capitale, brise l’innocence de la jeunesse avec le petit Georges qui, amoureux, ne s’en remettra jamais, et court toujours après son ancienne compagne de débauche, Satin, la ramassant sans cesse sur des pavés pour l’enfermer dans son luxe. Un style cru, vif, et très moderne, caractérise l’écriture de Zola. On est bien loin de l’univers édulcoré du Rêve et de la tendre Angélique bercée d’illusions. L’auteur nous entraîne dans l’âpre réalité dénuée de romance, et critique par ailleurs la société.

    peinture: Nana, vue par Edouard Manet


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    L’ouvrage est divisé en six parties semblables à des chapitres néanmoins singulièrement reliées, dont l’incipit laisse planer un certain mystère sur l’identité des protagonistes mis en scènes. Les ellipses nombreuses présentent ainsi la vie de Mme d’Aiglemont et de sa famille comme une succession de tableaux, d’étapes qu’il nous est permis de contempler après les conséquences du temps. Cet aspect fragmentaire s’explique par la construction séparée des « épisodes », qui ont suscité certain questionnement lors de la publication, puisque « plusieurs personnes ont demandé si l’héroïne […] n’était pas sous divers noms le même personnage. », réclamant une unification.
    Avec son roman, Balzac démontre les changements de la femme de trente ans au XIXème siècle, et loin de la considérer comme un être vieillissant, il la présente au contraire comme une créature accomplie, consciente de « son pouvoir et sa dignité », celle qui est capable d’instruire, de conseiller, de séduire, « elle obéit, elle prie et commande, elle s’abaisse et s’élève… ». Il extrait la femme de son carcan de mère et d’épouse, révèle ses espoirs secrets et désirs, abordant ainsi avec un nouveau regard le problème du mariage qui immole la jeunesse à l’amour passionné, osant dénoncer la solitude, la souffrance auxquelles elle se trouve contrainte par respect de la bienséance et de la vertu. Par cette révolution, l’écrivain bouscule les convenances de la bourgeoisie bien pensante, dépeignant plus que jamais la réalité, l’univers de ces femmes vouées au silence et à la résignation. Ecrit entre 1829 et 1842, l’ouvrage s’inscrit en effet au cœur de la révolution de 1830, et prend place dans la Comédie Humaine, au cœur de « La Psychologie du mariage ».

    Cependant, le destin de l’héroïne se révèle loin d’être glorieux. Pleine de rêves et d’illusions, elle tombe amoureuse d’un officier, sans le connaître, et l’épouse à dix –huit ans. La déception, cette vie de femme rangée, si différence des exaltations de l’amour auxquelles elle s’attendait, provoqueront une lente agonie morale et physique. Rongée par la souffrance et les regrets, elle perd ainsi peu à peu tout souffle de vie et espoir de bonheur, elle perd sa fraîcheur et son innocence au profil de l’amertume, elle perd ses rêves et sombre dans un désenchantement complet, une vieillesse précoce.

        « La grande, la vraie douleur serait donc un mal assez meurtrier pour étreindre à la fois le passé, le présent et l’avenir, ne laisser aucune partie de la vie dans son intégrité, dénaturer à jamais la pensée, s’inscrire inaltérablement sur les lèvres et sur le front, briser ou détendre les ressorts du plaisir, en mettant dans l’âme un principe de dégoût pour toute chose de ce monde. »

    Balzac distille avec finesse les pensées d’une femme en proie à la mélancolie la plus sombre. Le passé devient une obsession, source d’idéal inaccessible, temps où un avenir radieux semblait encore possible. La femme vit par les sentiments, pour les sentiments, son existence reste cérébrale. Cette affirmation m’a particulièrement interpellée par sa justesse :

        « Telle femme incapable de se rappeler les évènements les plus graves se souviendra pendant toute sa vie des choses qui important à ses sentiments. »


    Emprisonnée par les convenances et l’incertitude de son destin, Julie se morfond, jusqu’à ce qu’un jeune médecin anglais croise sa route. A trente ans, un espoir resurgit… Le bonheur se présentera-il enfin ?…


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