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    Il est étrange que l’on ne parle d’avantage de ce chef-d’œuvre qui sucita l'admiration de H. Balzac, fascina C. Baudelaire, Lautréamont, O. Wilde, A. Artaud, A. Breton, et fut considéré comme l’un des plus grands romans noirs de son époque. Le XVIIIème siècle en Angleterre vit apparaître les « gothic novels », à l’époque de la cour victorienne. Ces romans souvent destinés aux femmes se voulaient effrayants et mettaient généralement en scène une jeune fille persécutée, emprisonnée, des abbayes et couvents en ruine, un château isolé. The Castle of Otranto (1764), H. Walpole (précurseur du genre), The Mystery of Udolpho, A. Radcliff (1794) ou The Monk  (1796), Lewis, restent d’excellents exemples. Apparu tardivement, en 1820, Melmoth, the wanderer (Melmoth, l'Homme Errant) n'a rien à envier à ses prédécesseurs.

     " Est-il parmi nous, en dépit de nos écarts,  de nos désobéissances à la volonté du Seigneur, de notre indifférence à Sa parole, est-il à cet instant un seul d'entre nous, qui en échange de tout ce que la terre à l'espoir de son salut?..." C’est ce passage de l’un de ses sermons qui inspira  à Ch. R. Maturin . Il demeure difficile, voire impossible de résumer l'histoire, afin d’en donner un aperçu, puisque cinq récits dans le récit s’imbriquent, se complètent, se superposent, pour constituer l’œuvre. Comme une énigme dans laquelle John Melmoth se trouve entraîné, sur les traces d’un terrible ancêtre. Qui rôderait encore, parcourant la Terre, depuis des centaines d’années.
    A la mort de son oncle, pour respecter sa dernière volonté, le jeune homme doit brûler un tableau qui représentait l'un de ses ancêtres, un homme dont le regard semble étrangement pénétrant. John trouve un manuscrit, l'aventure de Stanton, qui rencontra cet ancêtre, l'Homme Errant...  Peu après, John recueillera un Espagnol rescapé d'un naufrage, qui lui contera l'histoire de sa vie. Son enfance, son existence, ses tourments, hantés par la présence du mystérieux Melmoth. Celui qui ne connaît pas le temps. Celui qui traverse les époques. Parcourt le monde. Erre désespérément. Cherche quelqu'un pour prendre sa place. Un personnage misanthrope et surprenant, empli de haine et d'indifférence, mais qui connaîtra malgré lui l'ombre de sentiments humains…

    L’œuvre, écrite et traduite, dans un style admirable mêle aussi bien philosophie que lyrisme et fantastique. Si l’on trouve des passages marquants par leur noirceur, des descriptions de cloîtres ou d’évènements obscurs, il réside également de magnifiques passages qui nous transposent hors du temps, comme l’île préservée où existe l’innocente Immalie. Les actions, les descriptions, les narrations, s’entrecroisent et ajoutent des touches d'originalité, créent cette impression indescriptible de se trouver plonger au coeur de l'histoire. Le lecteur est entraîné malgré lui dans ce voyage, ces univers différents et dépeints avec une habileté telle que les scènes ne se matérialisent pas seulement dans l’esprit mais perdurent dans le temps. 

    Sur ce site, vous trouverez un résumé détaillé de l'oeuvre.


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  • L’ouvrage était resté trois ans et demi dans ma bibliothèque, et malheureusement délaissé pour je ne sais quelle raison. Il y a quelques jours, peut-être ais-je senti que j’étais enfin apte à le vivre –car cette lecture n’a été rien de moins qu’une transposition, un mouvement- et non simplement le lire. Le temps s’arrête lorsque l’on plonge dans l’univers rustique de Hurlevent, quelque chose de sombre se pressent jusqu’à ce que la passion éclate au fil des pages, violente et tragique. Trouvé et adopté par le père Ernshaw, Heathcliff est immédiatement rejeté par le fils, Hindley, tandis que la fille, Catherine s’éprend d’une amitié intense et croissante. La nature sauvage et malicieuse de la jeune fille s’accorde et épouse le mystère et l’obscurité du nouveau venu.

    Heathcliff apparaît comme victime de cet amour devenu impossible, changé en souffrance et rancœur, désir de vengeance et de violence extrêmes. Cette passion dévastatrice est restée inassouvie par la faute de Catherine qui, méprisant son amant, a « trahi [son] propre cœur ». Peut-être par fierté, peut-être par colère ou désespoir, Heathcliff avait fuit le domaine à l’instant où il avait appris que sa bien épouserait Edgar Linton pour un engouement superficiel, plutôt que de se « rabaisser » en le choisissant. Pourtant, elle savait déjà quel lien l’unissait à celui qu’elle dédaignai, lien aussi essentiel et inévitable que celui qui nous relie à nous même : leurs âmes jumelles semblaient faîtes pour s’accorder, construire une harmonie ensemble. Catherine l’affirme : « Je suis Heathcliff. » Tout comme l’homme, brisé, déclarera :

       « Je ne peux pas vivre sans ma vie. Je ne peux pas vivre sans mon âme. »

    La jeune femme a conscience de cette union lorsqu’elle avoue à Nelly :

        « Si tout le reste périssait et qu’il demeurât, lui, je continuerais d’être, moi aussi, et si tout le reste demeurait et que lui fut anéanti, l’univers me deviendrait formidablement étranger : je ne semblerais plus en faire partie. »

    Cet éloignement physique, qui avait déjà commencé la nuit où Catherine fut blessée et contrainte de demeurer chez les Linton, prendra toue son ampleur le soir de ces révélations, peu avant son mariage.
    A son retour, trois ans plus tard, Heathcliff cultive un esprit armé de rancoeurs, de vengeances, de frustrations, animé par le goût de la revanche, tourmenté par son amour irréductible. Comme si, puisqu’il n’a pu avoir Catherine, tout le reste devait périr et subsister dans la plus grande misère, reflet de la ruine morale du protagoniste. Je crois que les mêmes remords poursuivront la jeune femme d’une manière différente, consciente d’être telle une meurtrière tant pour son amant qu’elle-même, il lui paraîtra impossible de mourir en paix. Et sa mort ne condamne-t-elle pas le restant des jours de Heathcliff ? Aussi était-il hanté de son vivant, et le fantôme de son amour ne cessera de le poursuive jusqu’à ce qu’il trouve la paix, se préparant à l’union éternelle dans un au delà, puisqu’il leur fut impossible d’accomplir leur destinée sur terre.

    Une œuvre m’avait rarement autant bouleversée, autant marquée, autant fait vibrer. Fille d’un pasteur, Emilie Brontë aurait menée une existence retirée et solitaire, ayant écrit cet ouvrage en 1848, peu avant sa mort. On dit qu’ ellese serait inspirée de son frère, Branwell pour créer le personnage ténébreux et torturé d’Heathcliff, mais il proviendrait également de cette violence, voire d’une forme de virilité intérieure qui ne saurait s’exprimer qu’à travers la plume.  Sa détresse reste constamment perceptible et je suis loin de penser qu’il ait été dépourvu de cœur car il a su aimer par delà la vie même, respecter Catherine, subir ses choix, bien que ces contraintes aient retournées un sentiment autrefois pur et innocent, l’amour, en son contraire, le distordant en un mélange de passion et de haine à l’égard du monde.

    Contrairement à beaucoup d’adaptations de romans, la version cinématographique avec Ralf Fiennes et Juliette Binoche me paraît assez réussie dans l’ensemble. Mais hélas, encore une fois, certaines scènes clefs du roman ont été modifiées (par exemple, la dernière entrevue entre Heathcliff et Catherine, qui a lieu quelques heures avant sa mort, et son accouchement dans le roman, porte la passion a son paroxysme. Je trouve qu’elle manque d’intensité dans le film. De plus, il s’agissait de l’unique scène d’amour décrite explicitement dans le roman, or le film nous en propose plusieurs, certes fort jolies, mais qui de ce fait créent un contraste moindre avec la dernière). Heureusement, d’autres ont été conservées, autant que possible, le texte étant presque cité dans son intégralité (lorsque Catherine confie à Nelly son amour pour Heathcliff, et l’impossibilité de l’épouser, ou encore la phrase devenue culte que prononce Heathcliff à la mort de Catherine)…

    Je n’irais pas plus loin dans mon développement, car j’ai l’impression d’en avoir déjà trop dit ici, même si je pourrais écrire d’avantage, sans me lasser, au sujet de cette oeuvre fabuleuse…

    A écouter, le morceau de Kate Bush, "Wuthering Heights". A voir: "Wuthering Heights" avec J. Binoche et R. Fiennes (1992).


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